Voilà 20 minutes que j’attends, posée sur cet affichage lumineux. Il est judicieusement installé entre le McDo et l’arrêt de bus, et surtout, il domine la poubelle du dit arrêt. Bref, le nid d’aigle parfait pour guetter les restes de Big Mac ; sauf qu’aujourd’hui, c’est la disette. D’après les médias, la France est à l’arrêt et même le McDo est fermé…
Grâce aux journaux, je comprends qu’il y a un cortège en ville, et s’il y a une chose pour laquelle la CGT est connue, c’est bien pour ses barbecues. Les chipos remplaceront les nuggets, je ne suis pas difficile. Cela dit, avec l’estomac vide, mes petites ailes ne me porteront pas jusqu’à Bellecour. Je décide de tout miser sur le bus, avant de me rappeler que c’est jour de grève. Contre toute attente, un bus marqué « Bellecour » s’approche. Il doit être bondé, mais tant pis, je ne prends pas beaucoup de place.
Je me mets sous l’abribus, je sors mon plus beau sourire et fais un signe au chauffeur. Mais il feint de ne pas me voir et continue sa route. Heureusement, un feu l’arrête quelques mètres plus loin. Rhaaaa, on ne me traite pas de la sorte ! Je m’approche et je tape à la porte de devant. Et là, la vitre explose. J’ai dû frapper trop fort, je ne sais pas bien mesurer ma force.
Le chauffeur sort du bus, l’air furieux. Il me regarde avec mépris, mais je remarque une goutte de sueur sur son front. Je me demande si c’est moi qui le stresse autant. Il commence à crier des injures dans ma direction, mais je n’y comprends rien. Je me contente de voler autour de lui en lui rappelant que je suis inoffensive et que je cherche juste à monter dans le bus. Cependant, il peut toujours se gratter pour que j’achète un ticket.
C’est alors qu’une idée folle me vient à l’esprit. Et si je prenais le contrôle du bus ? Je ne vous ai d’ailleurs pas dit que j’étais titulaire du permis D ? Je vole jusqu’au tableau de bord et je commence à actionner les leviers et les boutons. Je ne connais pas ce modèle, j’ai fait mes armes sur un modèle Iveco, et là c’est un Renault Agora S. Enfin, il en faut plus pour m’arrêter. Je déclenche la fermeture de la porte. Le chauffeur se retrouve bien bête sur le trottoir et je démarre en trombe.
Je sens la puissance du bus sous mes pattes, je suis en train de conduire un bus ! Les passagers sont choqués, mais je leur adresse un petit signe pour les rassurer. Pas question de respecter les arrêts jusqu’à Bellecour, j’ai bien trop faim.
Finalement, on doit s’arrêter avant, tout est bloqué. Je libère mes passagers qui sortent en hâte, soulagés d’être enfin dehors.
Je quitte le véhicule à mon tour pour chercher le gros du cortège de la CGT. Je le repère rapidement, avec son nuage de fumée et ses banderoles rouges. Je vole en direction de la fumée, mais en arrivant, je suis très déçue : ce sont seulement les fumigènes de SUD RAIL. Tout ce chemin pour rien. Je comprends vite qu’un défilé n’a en fait rien à voir avec un piquet de grève. C’était à Feyzin que j’aurais dû me rendre. À la raffinerie, c’est sûr, il y a des barbecues.
Ne pouvant me sustenter, je regarde autour de moi. Je suis rapidement émerveillée. Des pancartes, des banderoles, des gens qui dansent et qui chantent. Je me sens fière de faire partie de ce mouvement de protestation.
Finalement, je me pose sur une banderole et je contemple le défilé en me demandant si Emmanuel, en voyant tout ça, ne prendra pas la mouche.
Alban