« Il était une fois »… Je sacrifie à la tradition, tous les contes qui ont bercé notre enfance commencent par cette phrase, tout comme ils finissent par « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants… ». Ces mots magiques trottent dans nos têtes, porteurs de rêves, de peur, d’intrigues et de dénouements heureux.
Installez-vous près de la cheminée, laissez-vous emporter au pays du mystère… Dans le pays du « prince qui devint cerf ».
Il était une fois, un beau royaume, gouverné par un vieux roi, veuf depuis bien longtemps. Son fils unique lui causait bien des soucis. Figurez-vous qu’au lieu d’assumer sa charge de Prince, Quentin préférait les promenades à cheval, traverser les forêts, nager dans les lacs !
Son père, le Roi, sentant sa fin proche et souhaitant goûter un repos bien mérité, voulait confier le royaume au Prince à l’occasion de son mariage. Il multipliait les soirées, les bals, afin que son fils puisse choisir une belle princesse… Quentin était doublement riche, par sa beauté et sa fortune. Beaucoup de filles rêvaient de lui ! Mais voilà, il ne se décidait pas…
Pourquoi devenir Roi ? Gouverner ? Avoir des soucis, des peines, rendre la Justice, être aimé, mais aussi haï… Et puis, le temps ne pressait pas ! Non, cela ne lui convenait pas du tout ! Finies les longues randonnées à travers le royaume, seul, couchant à la belle étoile, regardant vivre les animaux de la forêt… Il s’était confié à son père, mais celui-ci n’avait pas compris… De rage, le vieil homme avait claqué la porte de la salle du trône.
Pendant ce temps-là, dans le royaume voisin, la Reine, que l’on disait un peu sorcière, convoitait les domaines du vieux roi… « Il me suffit de l’épouser et de me débarrasser du jeune Prince… Hum… Quoi de plus facile pour une sorcière comme moi ? Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! »
Cela fut effectivement très facile. La Reine d’une beauté ensorcelante apportait en dote le royaume voisin, ce qui n’était pas pour déplaire au vieux Roi. « La puissance du futur Roi Quentin n’en sera que plus grande », pensait-il. Ainsi fut fait, de grandes noces furent organisées très rapidement.
Pour parfaire son dessein, il ne restait plus à la Reine qu’à se débarrasser du jeune Prince… Elle consulta divers grimoires, tous plus poussiéreux les uns que les autres… Son visage s’éclaira… Enfin, elle venait de trouver « LA » formule magique.
« Prince Quentin, faites-moi visiter votre royaume, et découvrir la forêt, mais n’en parlez pas à votre père, j’ai une surprise, pour vous seul !
Le lendemain, dès l’aube, le Prince, intrigué, emmena sa belle-mère. Ils se promenèrent un peu, et s’arrêtèrent près d’une mare à l’eau claire. La Reine avait soif. Quentin remplit la gourde qu’elle lui présentait. Elle but avec beaucoup plaisir pendant que le Prince s’occupait de faire boire les chevaux. “Buvez… Cela vous fera le plus grand bien !” lui dit la Reine en lui rendant la gourde. Et il but, sans s’apercevoir qu’elle venait d’y verser un mystérieux breuvage.
Après quelques minutes, le Prince se sentit tout bizarre… “Quel beau dix-cors !” s’exclama la Reine en éclatant d’un rire étrange. Prince, vous qui aimez la forêt, vous allez en devenir le Roi ! » lui cria-t-elle en s’enfuyant avec les destriers.
Au-dessus de l’eau claire, reflétant son image, un cerf majestueux se regardait tout étonné…
Une semaine se passa, sans que le prince ne donne signe de vie. Le vieux Roi s’inquiétait. « Ce n’est pas dans les habitudes du Prince de s’absenter si longtemps. Il a eu un accident ! » Les recherches à travers les deux royaumes demeurèrent vaines… Nulle trace de lui…
Et les mois passèrent… Le chagrin du Roi ne se dissipait pas. La Reine lui proposa une grande chasse pour lui changer les idées. Tout chasseur ayant tué un « dix-cors » sera récompensé…
À travers les immenses forêts, une extraordinaire battue fut organisée. Trente « dix cors » furent abattus et exposés dans la cour du château.
Le Prince est parmi eux… Enfin, elle l’espérait. N’ayant qu’un seul moyen de vérifier, elle récita la formule magique qui rompait le charme… Pas de Prince ! Peut-être s’était-elle trompée en récitant… Deuxième tentative… Rien n’y fit ! Il avait échappé au massacre ! Qu’importe, j’organiserai une seconde battue et cette fois…
Dans la nuit, elle se réveilla en sursaut, réalisant son étourderie : le Prince était redevenu lui-même et allait se venger ! Il fallait fuir ! Elle courut, à la lumière d’un chandelier, descendit les marches de l’escalier de la tour… De vieilles pierres, mal entretenues, glissantes…
Non loin de là, au plus profond de la forêt, le Prince Quentin sortait d’un long rêve… Près d’une biche et d’un faon… C’était sa biche et son faon et lui, il était redevenu le Prince Quentin ! Non, c’était le passé, sa vraie vie se passerait dans cette forêt !
La Reine l’avait ensorcelé, et voilà que le charme était rompu ! Il lui fallait retrouver cette sorcière avant que sa petite famille ne se rende compte de sa transformation !
En prenant soin de ne pas se faire remarquer, il arriva au château de son père et vit le corps inanimé de la Reine au pied de l’escalier de la tour. Elle était morte, elle avait dû glisser.
Le jour commençait à poindre, vite il devait retrouver la formule magique.
Il grimpa dans la tour de la Reine, dans la bibliothèque remplie de vieux grimoires, il en trouva un tout dépoussiéré et à côté de celui-ci, une fiole… Et si c’était… Lentement, l’aube retirait du ciel le drap noir de la nuit. Il but.
Pendant que les coqs s’égosillaient, redonnant vie au château, un superbe « dix-cors » s’enfuyait dans le sous-bois proche…
Quentin retrouvait sa liberté et sa famille dans sa forêt… Jamais on ne le revit !
Que devint le vieux Roi ? Ceci est une autre histoire !
Ce qui est sûr, c’est que Quentin et sa biche eurent beaucoup de faons !
Robert C.