Précisions sur la consigne d’écriture : conclure son histoire avec une morale tirée d’une fable de Jean de La Fontaine.
Morale choisie : « Garde-toi, tant que tu vivras, De juger les gens sur la mine. » (Le Cochet, le Chat et le Souriceau)

Date : Lundi 18 mai 2020 – 9 h
Lieu : Jitsi.org (application de visioconférence)
Participants : Jacques, Lucas, Mathieu, Maryse, Nordine et Steve
Objet : Comité de pilotage de l’entreprise « Au Royaume du jouet »
Steve : 1,2… 1,2… Vous m’entendez tous ?
Lucas, Maryse, Nordine, en cœur : oui !
Mathieu : C’est bon pour moi aussi.
Steve : OK. Jacques n’est pas là ?
Nordine : Il m’a dit en off qu’il avait des soucis de connexion. Il redémarre sa box. Il ne devrait plus tarder.
Steve : Bon… J’espère que tu lui as dit que ce n’était pas la peine de débrancher TOUS les câbles. S’il galère autant que la dernière fois pour les remettre, on va finir la réu à 23 h !
Mathieu : À ce sujet… C’est moi qui récupère la petite à l’école, ce midi. Y’a toujours pas cantine. Donc faut pas qu’on déborde trop.
Steve : Tu mets combien de temps pour aller à l’école ?
Mathieu : Euh, je pense y aller à pied, comme il fait beau. Faut compter 10-12 min.
Steve : OK. Je me mets un rappel pour vous libérer vers 11h50 max, alors. Ou même 11 h 45, pour que t’aies plus de marge.
Mathieu : … Mais du coup je vais être en retard…
Steve : Pour midi ?
Mathieu : Oui…
Maryse : Si je peux me permettre d’éclaircir la situation, la pause de midi des enfants débute à 11 h 30.
Mathieu : Oui, c’est ça.
Steve : Ah… Je vois. Donc je dois te libérer pour 11 h 15 ?
Mathieu : Oui, voilà, ce serait parfait.
Steve : OK, OK. Bon, on va mettre les bouchées doubles. On a quand même pas mal de choses à voir dans ce COPIL.
Lucas : Par contre, Jacques ne nous a toujours pas rejoints, à ce que je vois…
Nordine : Il vient de me tel. Il a fini les branchements de sa box, ça semble remarcher. En tout cas les voyants ne clignotent plus. Là il redémarre son ordi, qu’il avait aussi débranché.
Steve : Putain, Jacques et sa manie de tout débrancher dès qu’il a une panne… Il doit être bien embêté, au lit avec Jacqueline, de pas pouvoir débrancher-rebrancher sa teub lorsqu’il a une panne !
Silence gêné.
Maryse : La femme de Jacques s’appelle Édith, je crois.
Steve : Oui, oh, on s’en fout ! Jacques et Jacqueline, ça sonne mieux, en plus ! Bon, trêve de plaisanterie. Tant pis pour le retardataire, je démarre le COPIL. Maryse, tu te charges de prendre les notes puis de nous faire le CR ?
Maryse : Ça marche.
Steve : OK. Bon. Comme annoncé par mail, la deadline est short, pour le prochain catalogue de Noël. J’ai eu Jean-Yves en confcall hier soir. J’ai dû batailler sévère, mais c’est bon, il valide mon idée ! Il doit forward semaine pro max à la dir’ le product listing complet. Faut donc qu’on s’active.
Mathieu : Attends, Lucas vient de quitter son bureau…
Lucas : Nan pardon, c’est bon, je fermais juste la porte parce que ma femme est sur sa machine à coudre…
Maryse : Ah, c’est chouette, ça ! Elle fait des masques ?
Lucas : Oui, c’est ça. C’est bien, mais c’est bruyant, quand même.
Steve : Allez, on se reconcentre, svp. Avez-vous réfléchi, donc, à des idées d’articles post Covid-19 pour le catalogue de Noël ?
Lucas : Ben, pas vraiment de mon côté… En même temps tu nous as envoyé le mail ce matin à 7 h 40. Ça nous a pas trop laissé le temps de réfléchir…
Mathieu : Perso j’ai pas bien compris le délire. Tu peux réexpliquer ?
Steve : OK. L’idée est simple. On a notre rôle à jouer dans la crise actuelle. En tant que magasin de jouets, on conditionne les enfants. Enfants qui seront les adultes de demain. Tu me suis ?
Mathieu : Euh, oui…
Steve : Et donc on doit susciter des vocations. Et les bonnes. Plus question de faire rêver les gosses avec les déguisements de cow-boy et autres Barbie, Reine des Neiges. On doit les préparer comme il faut au KO de demain. Jacques n’est toujours pas là, bordel !
Nordine : Attends, je lui envoie un SMS.
Steve : T’es sûr qu’il sait les lire ?!
Nordine : Oui, t’inquiète !
Maryse : Alors moi j’ai noté quelques idées, avant notre réunion.
Steve : Aaaah ! Merci Maryse. On t’écoute.
Maryse : Je me disais notamment qu’on pourrait peut-être mettre l’accent sur les kits d’apprenti chimiste ? On a une mallette actuellement pour les 10-12 ans. On pourrait peut-être prévoir un kit pour les 8-10 ?
Steve : Oui, bien sûr, je prends. Mais pas que pour les 8-10. Je veux aussi un kit pour les 6-8 et un autre les 4-6.
Mathieu : Ils ne seront pas un peu trop jeunes, les 4-6, pour faire de la chimie ?
Steve : J’te parle pas de chimie moléculaire. On fout juste dans une mallette les accessoires du parfait laborantin en herbe.
Maryse : Des tubes à essai, une loupe, des lunettes de protection… ?
Steve : Oui, voilà. Et deux – trois autres conneries dans le genre.
Mathieu : Et rien en verre ! Parce qu’à cet âge-là…
Steve : OK. Full plastique.
Lucas : C’est fantastique !
Steve : C’est surtout bien moins cher. Ce qui n’est pas pour me déplaire.
Nordine : Désolé de vous interrompre. J’ai une réponse de Jacques. Depuis qu’il a rallumé son PC, il a une grosse mise à jour Windows. Il fait au plus vite.
Steve : Putain, c’est bien le moment ! Bon et toi, Nordine. Quelles sont tes idées ?
Nordine : Je pense qu’on pourrait mettre plus en valeur dans le catalogue les déguisements d’infirmières, de docteurs.
Steve : Oui, carrément. J’y pensais aussi. Et faut aller plus loin dans la déclinaison. Je veux un déguisement d’aide-soignante, un déguisement de médecin réanimateur… Maryse, tu notes bien tout ça ?
Maryse : Oui oui.
Mathieu : Mais comment on distingue le déguisement du médecin de ville de celui de l’urgentiste, au juste ?
Steve : Faut pas se prendre la tête. On change les couleurs, un accessoire ou deux. On crée le nom de produit qui va bien et le tour est joué !
Maryse : Ah ! Voilà notre cher Jacques ! Bonjour, Jacques !
Jacques : …………………………….
Lucas : Jacques, je pense que ton micro est coupé.
Jacques : ……… Ah oui, pardon. Voilà, vous m’entendez ?
Steve : On t’entend, Jacques. On brainstorm actuellement sur les futurs produits spécial post crise du Covid. Des idées ?
Jacques : Un kit de chercheur en laboratoire ?
Steve : Déjà noté ! Rien de plus original ?
Jacques : Je réfléchis.
Mathieu : On pourrait peut-être aussi mettre en valeur les autres métiers indispensables qui se sont distingués pendant le confinement. Caissière, livreur, éboueur…
Steve : Oui, carrément. On aura besoin de ces métiers demain. Encore que, avec les caisses automatiques et les drones… Mais bon, passons. On a déjà quelques jeux de marchande. Maryse, note de contacter la R&D pour voir s’ils peuvent encore nous rajouter des écrans en plastique sur les nouveaux modèles.
Maryse : C’est noté.
Mathieu : La petite fille qui joue avec sa sœur ou sa copine, elle n’aura peut-être pas besoin de cet écran de protection ?
Steve : Mathieu, on cherche à les préparer au monde de demain ! S’ils veulent travailler avec du public, faut les habituer à servir les clients derrière une vitre !
Mathieu : OK, OK. Pour le livreur, je pensais à un kit comprenant des colis emboîtables (pour réduire l’encombrement en rayon) et un petit gilet sans manche.
Steve : C’est bien ça. Maryse, note que je veux aussi le petit boîtier pour la signature. Pas un truc électronique, hein. Un morceau de plastique avec de fausses touches. Un déguisement de livreur, on pourra pas le vendre plus de 15 balles.
Lucas : Ce qui pourrait être sympa, c’est de prévoir quand même un stylet avec un écran comme celui des ardoises magiques. J’avais ça, quand j’étais gosse. Les enfants s’amuseront à signer et ce sera simple d’effacer la signature pour passer au « client » suivant !
Jacques : Figure-toi que moi aussi j’y ai joué dans mon enfance ! Ça venait de sortir quand mes parents me l’ont offert pour mon anniver…
Steve : OK. Bonne idée, Lucas. Pour le livreur, on est bon. Et l’éboueur, alors ? À quoi pourrait bien ressembler la panoplie du petit éboueur ?
Mathieu : Euh… On pourrait prévoir une combinaison, un camion, une poubelle… ?
Steve : Le camion, tu oublies. Un camion grandeur nature, enfin grandeur enfant, c’est hors budget. On parle d’un kit qu’on va devoir vendre 10 balles. 15 tout au plus.
Lucas : Un bloc en plastique en forme de poubelle, mesurant 50 cm de haut, ça rentre dans le budget ?
Steve : Oui, mais les parents n’auront sûrement pas envie que la chambre de leur gamin soit encore plus encombrée avec un truc aussi moche… À moins que… Mais oui ! Je sais ! La poubelle de l’éboueur devra être munie d’un vrai couvercle à battant et elle servira de boîte de rangement pour les gosses. Double emploi. Nickel.
Lucas : Est-ce qu’on l’équipe de roues, pour que les enfants s’amusent à traîner la poubelle ?
Maryse : Moi ça ne m’amuse pas, de traîner la poubelle ! Mais bon, je suis une adulte !
Steve : Comme tu le dis. Un enfant, ça aime faire des trucs chiants dont les adultes se passeraient bien. Donc les roues, oui. Sauf que non. Tu exploses sûrement le budget, avec les roues.
Mathieu : On peut prévoir des roues sous forme d’autocollants, au moins, pour que ça fasse un peu illusion ?
Steve : Oui voilà, on ajoute au kit une feuille d’autocollants. Le gamin s’amusera à customiser sa poubelle. Parfait. On enchaîne.
Jacques : J’ai une idée.
Steve : Oui ?
Jacques : …
Steve : Tu as la parole, Jacques !
Jacques : D’accord, merci. Eh bien je pensais à un costume un peu particulier. J’avais vu un dessin sur internet qui pourrait nous inspirer. Attendez. Il faut que je retrouve l’image… Voilà… Hop ! J’ai lancé l’impression. Je vais vous montrer. Ne bougez pas, je vais chercher la feuille. L’imprimante est dans une autre pièce…
Steve : Il est sérieux, là ?!
Nordine : Bon, j’en profite pour aller me faire un kawa. J’ai du mal à me réveiller, ce matin.
Maryse : J’en veux bien un aussi, stp… Je plaisante, bien sûr !
Nordine, au loin : Oui, je me doute !
Quelques instants plus tard.
Steve : Bon, c’est bon, tout le monde est là. On essaye de rester focus, à présent, hein. Il nous reste très peu de temps avant que Mathieu parte récupérer son fils à l’école.
Mathieu : Ma fille. Mais c’est un détail.
Jacques : Vous voyez bien, là ?
Steve : Non, recule ta feuille de l’écran, Jacques. Et la prochaine fois, pitié, tu nous présentes ton image de manière plus moderne et surtout plus rapide : un partage d’écran, un lien sur Slack, un mail, bref : pas une feuille imprimée !
Jacques : Compris.
Steve : Et sinon, tu nous montres un dessin de super-héros. En quoi c’est raccord avec le thème de la gamme qu’on cherche à développer ?
Jacques : Eh bien au centre, voyez-vous… Ou peut-être que non, vous ne voyez pas… Sur le torse, il y a un écu jaune et rouge, comme celui de Superman, sauf que c’est écrit « Super Soigneur ».
Steve : Non, non, non. Ça ne va pas du tout. Jacques ! Les super-héros, c’est FI-NI. On va arrêter de faire rêver les mômes avec des pouvoirs magiques à la con et des châteaux de princesse. On DOIT préparer au plus vite les enfants au monde de demain. Et leur avenir sera sûrement fait de nouvelles épidémies, auxquelles s’ajouteront toutes les catastrophes directement imputables au réchauffement climatique : tsunamis, réfugiés climatiques, famine…
Lucas : Le lundi matin, c’est déjà difficile… Mais là, tu me donnes carrément envie de m’ouvrir les veines !
Jacques : Je te trouve bien trop pessimiste, Steve. La Terre ne va pas si mal. Et puis il faut croire en l’intelligence humaine. On va inventer des choses pour…
Steve : Allons bon ! Je rêve !
Maryse : Allez allez, revenons à nos moutons.
Mathieu : En parlant de mouton, on pourrait peut-être proposer des kits laine + aiguilles + tuto pour apprendre aux enfants à tricoter ?
Steve : Pourquoi pas… Faudrait voir à partir de quel âge ils peuvent manipuler des aiguilles sans risquer de se les fourrer dans les yeux.
Lucas : Ou ailleurs !
Nordine : On parle d’enfants, Lucas !
Jacques : Mais pourquoi leur apprendre à faire des couvertures, si dans le monde de demain, d’après vous, il va faire très chaud ?
Steve : Mais putain, Jacques, tu le fais exprès ! C’est pas parce qu’on aura des étés caniculaires qu’on risquera plus de se peler le cul au cœur de l’hiver !
Maryse : Allez allez, messieurs. Gardons notre sang-froid.
Steve : Bon. Et pour l’univers sport. Des idées ?
Maryse : J’ai un ami commercial qui bosse pour les animaleries. Je sais qu’il cherche actuellement à écouler un surstock d’obstacles d’agility : haies, bascules, slalom, tunnel… On pourrait peut-être les lui racheter à un bon prix pour créer des kits d’entraînement militaire pour les plus petits ?
Lucas : À quel âge fait-on la taille d’un border-collie ?
Maryse : Je ne sais pas… Trois ou quatre ans, peut-être ?
Steve : L’idée est bonne. On la garde. En plus, si ces obstacles sont actuellement en surstock, on va pouvoir pressurer le fournisseur pour obtenir un bon prix. Et pour l’activité physique des plus grands, on prévoit quoi ?
Mathieu : Si tu veux préparer les gamins à la vie stressante qui les attend, on pourrait mettre au point un jeu de mines anti personnel. Un parcours jonché d’obstacles – les mines, en l’occurrence – sur lequel ils devront faire preuve de courage et de dextérité pour ne pas finir la journée manchots !
Steve : … Intéressant. Tu peux développer.
Mathieu : Euh, je plaisantais, hein…
Steve : Nan, mais on est d’accord, on ne va pas vendre de véritables charges explosives ! Mais un simple retour sonore lorsqu’ils entrent en contact avec la fausse mine, ce n’est pas suffisant…
Maryse : On pourrait peut-être mettre des autocollants de monstres sur le dessus des mines, pour que ce soit plus ludique.
Steve : Non, non, pas des monstres… Je ne veux plus rien de fictif…
Lucas : Des autocollants de virus ?
Steve : C’est pas mal… Attendez ! J’ai encore mieux : des photos de tous les grands climatosceptiques de ce monde. Oui, je vois bien la face de Trump ou de Bolsonaro en gros plan. Ce jeu aurait assurément un fort impact. Un véritable conditionnement, à la manière du chien de Pavlov ! Les enfants associeront à tout jamais ces fous à la notion de danger.
Jacques : Ces hommes ont tout de même été élus démocratiquement. Créer des mines à l’effigie de ces grands politiciens, je trouve ça tout de même assez…
Steve : Jacques ! Mon vieux ! STOP ! Garde-toi, tant que tu vivras, de juger les gens sur la mine.
Juliette L. – avril 2020