Lorsque je joue avec mes parents, ce qui leur fait plaisir – paradoxalement, j’ai envie de dire – c’est de jouer à leurs jeux habituels : soit le jeu de cartes, le Rami, soit le Rummikub.
Je les observe alors, concentrés sur la partie – leurs esprits encore très affutés pour leurs 85 ans – qui s’animent, leurs yeux qui brillent ou leurs sourcils qui froncent.
Papa qui compte à toute vitesse ses points : « 4 x 10 et 8 +7 +6 donc 3 x 7, j’ai 61 c’est parfait. »
Maman qui éclate de rire : « J’ai gagné, vous prenez tous 100 points ! », son plaisir spontané et sincère est réjouissant.
Alors le temps semble suspendu, nous mettant dans une dimension parfaite, une bulle d’ici et maintenant. Oui il y a quelque chose d’enfantin comme si ce bonheur allait durer toujours. Et moi qui suis dans cette bulle et en même temps en recul comme à l’extérieur, je les observe avec force pour garder ces images en moi.
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Avec mes amis, avant les divorces, nous jouions tous les quatre à la belote, les 2 filles contre les 2 maris. Les enfants couchés, les digestifs sortis, « Allez les filles juste un p’tit verre ! » nous distribuions les cartes.
Délice de bâtir une stratégie bien sûr et aussi délice de tricher un peu sans que les hommes s’en aperçoivent. C’était facile, ils ne soupçonnaient pas la part de perfide vilénie que le jeu faisait ressortir en nous, leurs si naïves et innocentes femmes. Et ils ne pouvaient pas connaitre la part de girl power ou intuition féminine qui nous permettait de nous comprendre juste d’un geste ou d’un regard.
Eux : « Non, mais sérieux, vous gagnez encore, vous avez triché, c’est pas possible. »
Nous, outrées : « Ah ben super, une femme qui gagne est une tricheuse, un homme qui gagne un stratège, vraiment bravo les mecs. »
Eux : « Non, non, désolé, bon bravo les filles, allez on va se refaire. »
Oui, avant les divorces on avait des maris très mignons.
Corinne S.