L’hiver est là. Les journées sont courtes. En ce moment, la pluie tombe. Le soleil fatigué est allé se coucher depuis le dernier week-end. Mercredi, le jour des enfants. Je ne suis plus un enfant ou alors un attardé. Je n’ai pas d’activités. À la retraite depuis quelques mois, je me languis. Mon travail que j’ai aimé fait défaut. Je suis né solitaire et j’ai toujours eu des difficultés à m’insérer dans des groupes. La marche était mon sport favori, une aide à vivre le spleen qui m’assaillait régulièrement. Je n’ai pas d’enfants. Le peu de famille qui me reste est loin et a oublié le vieux bougon. Depuis quelque temps, je n’ai plus l’énergie de sortir. Et je traine mes grolles. Dans mon café, j’ai versé de la gnole comme le faisaient les bergers savoyards. Pantoufles éculées. Le froid est là. Il rentre par les pieds sans se cacher. Malin il se promène autour de mon corps et sait trouver les portes d’entrée… J’ai beau allumer le feu, il ne fait pas chaud dans le petit salon où je me terre. Je ne sortirai pas et personne ne viendra me voir par surprise.
Seize heures, je me prépare un thé de Noël aux épices chaleureuses pour me réchauffer. Une vapeur chaude comme un nuage dans le ciel s’échappe du mug. J’admire quelques secondes ce paysage qui se révèle devant moi.
Dix-sept heures. J’ai froid encore et encore. Mon corps est las. Dernièrement alors que je cherchais quelque chose dans la cave, mon œil a été attiré par une bouteille joliment décorée où était écrit » Vin chaud. Vin qui rend heureux « aux épices de cannelle, gingembre, cardamome, clous de girofle avec miel. C’est ce qu’il me faut. Après avoir décapsulé la bouteille, dans une casserole je mets le breuvage à chauffer doucement… Je choisis un bol joliment enjolivé. J’ai besoin de beau. Je verse la précieuse décoction. Les effluves montent jusqu’à mes narines ravies. Je laisse passer un peu de temps, puis lentement pour ne pas me brûler je la savoure peu à peu. Elle descend tranquillement. Excellente, elle réveille mes papilles endormies. Le froid commence à quitter mes membres. Cependant, il est là dans mon cœur. Seul, je suis seul et je n’arrête pas de penser à tout ce qui est arrivé. J’aimerais dormir, dormir, tout oublier.
Dix-huit heures. La température dans la pièce a du mal à monter. Le feu se montre récalcitrant. Buté, le bois légèrement humide résiste. De belles flammes se font désirer. Remettre du petit bois. Rallumer la flamme du foyer. Ranimer la mienne. Et pour la raviver, réchauffer le breuvage des Dieux, ceci après bien des atermoiements. Je me parle : « Et, le vieux, tu as assez bu. Garde le reste pour demain ». Cela ne changera rien d’être saoul. Tu vas oublier quelques instants, quelques heures et puis la réalité sera là, encore là… ça parle, ça parle. Cela ne s’arrête pas de parler… Le désir d’oublier, de ne plus durer se fait plus présent. Et l’autre, le démoniaque insiste. Allez, encore un. Oh, un petit. Un tout petit.
Je me lève. Le sol bouge sous mes pas. Bizarre. J’arrive à prendre la casserole, à vider la potion magique dans le bol qui content de se réchauffer, me sourit. Ma main tremble. Quelques gouttes s’échappent et chutent sans faire de bruit sur la nappe. Contente, elle aussi, elle va boire pour me tenir compagnie. Dans ma tête accourt le chant :
« Boire un petit coup, c’est agréable. Boire un petit coup, c’est doux. »
La nuit a décliné comme moi. Il fait sombre dans la pièce. Obscurité extérieure, intérieure. Je vais m’effondrer dans un sommeil espérant qu’il durera une éternité. J’avance doucement en chancelant. Mes pieds se prennent dans le tapis. J’essaie de me rattraper. La nappe me suit avec le vase de fleurs fanées. Par terre. Je me suis cogné contre un fauteuil. Ma tête est lourde. Du sang coule.
« Mais il ne faut pas rouler dessous la table. Boire un petit coup, c’est doux. »
J’ai frotté ma joue droite encore endolorie. Je me suis accroupi et j’ai ramassé lentement tous les pétales de roses étendus à mes pieds.
Michèle