Cette fois, ça y est, je ne pourrai plus revenir en arrière. Les déménageurs ont tout emporté, sans ménagement dois-je dire. Je fais pour la dernière fois le tour de la maison, ma maison, celle que nous avons voulue, mon mari et moi, lorsque, jeunes mariés, nous sommes venus habiter la région. Celle que nous avons aménagée ensemble, celle qui a grandi avec nous au fil des naissances de nos enfants. J’ai tout fait pour retarder ce moment, tout. J’ai même, un jour, refusé d’ouvrir la porte à des acheteurs potentiels venus la visiter.
Cette fois, ça y est. Je dis un ultime au revoir aux pièces vides qui résonnent sous mes pas. Je m’imprègne une dernière fois de leur disposition harmonieuse, de leur clarté, de leur odeur familière.
Je termine ma visite d’au revoir par le garage et là, un bruissement léger me fait tourner la tête vers la fenêtre ouverte. En même temps que ce frrrrut à peine audible, cette impression de bruit, je perçois une forme lumineuse, sorte de nuage vaporeux qui emplit la pièce et se coule à travers les barreaux pour me précéder dans le jardin.
Qu’est-ce que c’est ? À peine le temps de me poser la question et déjà me vient la réponse : c’est l’âme de la maison. Elle rôde fébrilement, car elle sait que nous partons. Elle est riche de tout ce qu’elle garde en elle, de tous les souvenirs inscrits entre ces murs : les joies, les peines, les éclats de rire, les éclats de voix, les chants et les pleurs, les jamais, les toujours. Tous ces moments partagés au sein d’une famille ordinaire. Je sais qu’elle pleure avec moi sur une page qui se tourne. Je sais aussi qu’elle me dit : adieu, regarde tout ce qui t’attend ailleurs, moi je reste ici, garante de tes souvenirs.
Marie-Ln – décembre 2020